De Tanger à Fès par le col de Tizi Bouzabel

Le Maroc, voilà un nom qui résonne comme un petit bonheur dans mon cœur. J’avais visité le sud
marocain à 19 ans, c’était mon premier voyage en dehors des frontières françaises, ou peut-être mon
premier voyage tout court ? J’y avais découvert sa culture merveilleuse, ses paysages désertiques et
ses habitants hauts en couleurs. Cette expérience m’a enchanté. C’était il y a 24 ans, et c’est peut-
être ce voyage qui m’a définitivement mis sur la route depuis. J’étais retourné seul dans le Haut Atlas
quatre ans plus tard pour randonner et grimper le Toubkal, le toit de l’Afrique du nord. J’ai depuis
quelques temps l’envie de me rappeler ces bons souvenirs, revivre ces premières sensations
d’aventures, réactiver mes cinq sens et voir comment ce pays a changé en le parcourant cette fois-ci
à deux roues.


J’aurais aimé pédaler depuis Madrid jusqu’à Algésiras et traverser le détroit en ferry, et prendre du
temps pour changer de continent, cependant celui-ci m’est compté pendant ces vacances de
printemps. J’atterris donc à Tanger avec mon vélo démonté dans sa housse en toile maison. Surprise
désagréable au déballage, la fourche est abimée et le câble de la dynamo est arraché. Malgré mes
recherches, je ne trouverai pas de soudeur dans la ville. « Avec les produits chinois, c’est moins cher
d’acheter du neuf ! » me dit-on. Première observation, ici comme ailleurs, la mondialisation est
passée par là. J’achète donc un jeu de lumières chinoises et « pas chères ».


Ce voyage improvisé a été rapidement préparé. J’ai eu plus ou moins 3 semaines pour décider où je
voulais pédaler et déterminer un itinéraire. Mon choix s’est porté sur le nord du pays que je ne
connaissais pas : plus près, probablement moins touristique, et montagneux comme j’aime. J’imagine
également que les étendues désertiques du sud demanderaient une étude et une préparation plus
approfondies du terrain. Début avril, la période printanière semble idéale… à un détail près cette
année que je n’avais pas anticipé : le monde musulman est en plein ramadan depuis une dizaine de
jours. Si la vie sociale et commerciale continue au ralenti dans les villes, ce ne sera pas le cas à la
campagne, les échoppes seront fermées pendant la journée. Je suis prévenu, j’emporte donc de la
nourriture et surtout de l’eau en quantité. Je ne voyagerai pas léger sur ce voyage et je vais devoir
anticiper les ravitaillements.


Le Maroc est traversé de long en large depuis longtemps en vélo. Je lis plusieurs messages de
cyclistes qui souhaiteraient réaliser la partie nord de la Route des Caravanes, mais curieusement je
trouve très peu de récit de voyage à vélo dans cette partie du pays. Une cycliste m’a inspiré, Heike
Pirngruber avec son site pushbikegirl.com. J’invite les aventuriers à vélo à lire ses récits et à apprécier
ses fantastiques photos. Ses aventures sont pour moi une réelle source d’inspiration. Heike parle de
la route du Col de Tizi Bouzabel depuis Taza comme l’une de ses plus belles routes au Maroc. Ce sera
donc mon objectif pendant ce séjour.
Je pars donc avec un itinéraire traversant partiellement le Rif et le Moyen Atlas, empruntant des
pistes et des routes secondaires par Tanger – Chefchaouen – le Parc national de Tazzeka – Taza –
Ifrane – Meknès – Fès.

Après trois jours passés à découvrir (à pied !) les beautés de Tanger, je m’élance de la capitale du
nord et quitte le détroit de Gibraltar pour l’intérieur des terres. La sortie de la ville est comme prévue
désagréable sur les 20 premiers km où je comprends vite que toutes les épiceries et cafés seront
effectivement fermés.
Les jours précédents, ça « moutonnait » sur la Méditerranée. Chez les marins, la formation de ces
moutons sur la crête des vagues est un signe de gros temps, et on dit qu’il est imprudent de sortir. Je
crois que l’adage est applicable aux deux roues également. Première journée avec un gros vent
d’Est : le levant. Concrètement pour moi, c’est plusieurs passages à pousser le vélo face au vent et
une journée éreintante.


Pour tracer mon itinéraire, j’ai utilisé Google Satellite, et j’ai ciblé les plus petites routes et chemins
visibles depuis le ciel. Ce sera, pour les premiers jours, une dominante de petites routes secondaires,
de pistes gravel, et de quelques passages VTT. Les paysages sont collinéens et verdoyants, composés
de forêts de pins, d’eucalyptus et d’acacias aux doux parfums méditerranéens, ceci malgré les
terrains calcinés laissés par la culture sur brûlis pratiquée ici, où seuls les chênes liège survivent au
feu.


Première nuit dans la ville bleue de Chefchaouen, capitale du kif marocain. Culture traditionnelle de
petits paysans ici, dont le Maroc est le fournisseur principal de l’Europe et montré du doigt, le kif est
une économie essentielle pour le Rif. Rencontre surprenante avec un vieil agriculteur, qui m’arrête
sur la route pour, cette fois non pas me proposer d’acheter, mais de devenir son associé ! Je refuse
gentiment lui expliquant que je suis juste là pour pédaler et ne souhaite pas gagner d’argent, le
laissant dans une grande incompréhension existentielle. Rencontre entre deux cultures.


Beaucoup de dénivelés positifs dans le nord du Maroc avec des montées longues et souvent « casse
pattes » passant rapidement de 10 à 15%. Le paysage est agricole, l’habitat épars et les minarets
dominent le paysage. Le Rif est une région très rurale, peu touristique où les langues étrangères sont
peu connues. Ici, on parle le rifain, une variante du berbère. Heureusement, le voyageur trouve
toujours quelqu’un parlant le français mais surtout l’espagnol, fort utile dans le nord. Si les routes
secondaires sont en assez mauvais état, le pays investit énormément pour développer les
infrastructures routières. Le Maroc est un pays dynamique qui vit, avec la politique de Mohamed VI,
un boom économique afin de devenir un acteur majeur de la Méditerranée. L’immense port
TangerMed, ou encore la ligne TGV Tanger-Casablanca en sont de parfaites illustrations,
malheureusement, les vélos n’y sont pas acceptés dans les trains sans être démontés.
Passé Chefchaouen, le vent tombe et c’est moi qui souffle de soulagement ! Après une première
journée difficile, j’envisage à nouveau la suite du parcours. En biketrip, je n’ai pas l’expérience de
l’autonomie complète. Je voyage léger en me ravitaillant en épicerie, dans les cafés-bars et je dors à
la belle étoile, faisant l’économie du poids de la tente. Ici au Maroc, entre la méconnaissance de la
région, le froid des montagnes et le Ramadan, j’ai anticipé et avais réservé les trois premières nuitées
du séjour en gite d’étape. Si cela m’a paru rassurant, je préfère tout de même ne pas savoir où je vais
passer la nuit. Cela casse l’esprit « aventure » et il faut, de plus, tenir un timing pour arriver au gite
dans les temps. Peut-être que le moment d’envisager le voyage à vélo en autonomie est pour moi
arrivé. Dois-je commencer à penser le monster avec des sacoches sur les côtés ?

La route se révèle agréable et j’avance maintenant sereinement malgré une douleur au genou droit ;
cela pourrait être un début de tendinite dû aux longues heures passées en position couchée la veille,
à écraser les pédales pour grimper. Plus de 3500 m de D+ pour ce second jour tout de même ! Je suis
également satisfait de mon montage avec les 5 litres d’eau. Cependant, une surprise de taille
m’attend : la rencontre avec les enfants des villages. Habituellement, leur curiosité et leur sourire
réchauffent le cœur du voyageur solitaire. Ici dans le nord du Maroc, quand je croise un groupe
d’enfants, ceux-ci répondent à mon bonjour par des jets de pierres. Des pierres pour faire mal, une
attitude étonnante, méchante et surtout dangereuse.


Au jour trois, je traverse le Parc National de Tazekka, aux paysages creusés de gorges et de grottes.
La route est bordée de pins et de chênes zeen, c’est sec, agréable et frais. En effet, la chaleur est déjà
bien présente en bas dans les vallées. Le Moyen Atlas est considéré comme le château d’eau
marocain. Une pluviométrie élevée et les neiges hivernales remplissent les nappes phréatiques,
façonnent la région en terres agricoles, et fournissent au cycliste des sources pour remplir ses bidons.
À partir de ce moment, j’avance uniquement sur l’asphalte. Après le Parc et une troisième nuit en
gite, je rejoins enfin la route du col sans passer par la ville de Taza, bien content d’éviter une portion
de plus de 700m de D+ au petit matin. Heike avait raison, même si c’était sous une neige hivernale
qu’elle avait apprécié la route du col de Tizi Bouzabel, celle-ci est tranquille et magnifique. La pluie
m’attend au col et donne au ciel des tons gris de tempête, inoubliables. Je croise seulement trois
voitures sur l’ensemble de cette journée.


En redescendant du col, après Maghroua, les paysages sont plus secs. Les arbres se font plus rares et
annoncent déjà les déserts du sud. Malgré les sommets enneigés des 3350 mètres du Djebel Bou
Naceur, on imagine facilement que les déserts de Merzouga et du Sahara ne sont plus très loin.
Je passe une nouvelle nuit dans un gite d’étape « écologique » : écologique ou pas, ce mot magique
fleurit sur un grand nombre de gites pour attirer l’Européen, et ça fonctionne ! L’accueil est comme
d’habitude formidable, cependant au petit déjeuner, je bois avec une confiance bien malvenue le
verre d’eau servi au petit déjeuner. Ne jamais boire l’eau non embouteillée, c’est bien connu, je le
sais, seuls les voyageurs pas très malins qui ont la prétention de pouvoir vivre local l’oublient… et je
l’ai donc bue ! Assez curieusement, malgré les spasmes à l’estomac continus et une fatigue
grandissante, je réussis à atteindre Meknès après un parcours de 180 km traversant les forêts de
cèdres de la très chic station d’Ifrane. Les maisons ici sont construites avec ce bois, l’artisanat
traditionnel nourrit une partie de la population. Une fois arrivé à l’hôtel, relâché, je passerai une nuit
de « purification interne » et la journée suivante au lit sans rien pouvoir avaler. Le cadre magnifique
d’un ryad dans une des villes impériales donne à cet arrêt forcé un cadre splendide pour les yeux et
ouvrent les portes du voyage dans le temps. Toute la journée sur le vélo, la tête a fait front et s’est
montrée plus forte que le ventre en stoppant toute forme de défaillance afin de finir la journée. Le
corps humain me fascinera toujours !


A Meknès, je recommande vivement aux cyclistes, aux jambes lourdes comme les miennes et à tous
les autres, un passage chez Biotaj en bas du marché, dans la médina. Bien plus agréable et réparateur
que le passage dans un hammam local (où j’ai du faire arrêter le massage de peur des blessures).
Après une pause récupération et visite de Meknès plus longue que prévue, je termine mon itinéraire
par les 60 km qui séparent les deux villes impériales avec pour principal objectif de ne pas me faire découper en deux par les voitures. On m’avait dit au Maroc, « attention, les automobilistes ne te
calculent pas. » C’est faux. Je corrigerai cette formule, la règle serait plutôt « ils te calculent au plus
juste, l’objectif est de réussir à doubler sans toucher ! A bon entendeur…
Je recommanderai cet itinéraire à ceux qui veulent explorer le nord ou qui cherchent une jonction
entre Tanger et Marrakech pour rejoindre la partie sud de la Route des Caravanes. La période d’avril
est idéale même si cette année, le Ramadan fut davantage pour moi un challenge à contourner. La
vie des villages arrêtée jusqu’en fin d’après midi m’a contraint à porter eau et nourriture même si, au
final, j’aurais pu me ravitailler aux sources croisées sur la route. Pendant tout mon itinéraire, j’ai eu
une couverture téléphonique, ce à quoi je ne m’attendais pas, et qu’on ne trouve d’ailleurs toujours
pas en France ou en Espagne. Une carte SIM locale est utile, elle s’achète à l’aéroport, 100 dirhams
pour 10 go.


Au final, ce biketrip rapidement préparé sera réussi en parcourant l’itinéraire prévu. Passé à l’ère de
Ryanair et de Booking, le Maroc a bien changé avec dans les villes un accueil qui répond aux attentes
des touristes, et un arrière pays qui ne suit pas le développement croissant des villes. Les R4, R5, R9,
R12 laissent peu à peu la place à la Logan fabriquée à Tanger, en revanche la vie rurale et l’accueil
généreux des marocains restent inchangés.

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