De Madrid à Tanger à travers l’Altraversur

Arrivé en septembre à Madrid : nouveau pays, nouvelle langue, nouvelle culture, je souhaite découvrir l’Espagne. Ça tombe bien, j’ai une pause professionnelle en ce mois de mai. Quoi de mieux que de se lancer à la découverte d’un pays en vélo. Ayant très peu sorti cet hiver, il en a des fourmis dans les pneus !

Quand je voyage, j’aime bien me fixer un objectif. Ce sera Tanger, capitale du Rif marocain, ville de marins et d’artistes américains que je souhaite découvrir depuis longtemps. Je projette donc de partir vers la partie méridionale de la péninsule en chargeant dans le GPS la Via de la Plata pour descendre jusqu’à Séville, puis Tarifa et prendre le bateau pour rejoindre Tanger. Ces noms qui transpirent le voyage des Camus ou encore Gatlif me font rêver. Peut-être aurai-je encore des jambes pour remonter à vélo, je jette un œil à la référence Bikepacking.com et j’embarque avec moi la trace de l’Altravesur, route VTT reliant Cadiz à Valencia. C’est vendredi, une petite forme, des symptômes grippaux, le surpoids de huit mois de régime espagnol combo « tapas y cervezas » mais le vélo est prêt, j’ai mon objectif en tête et surtout une grosse envie de pédaler. Je sais que tout va mieux sur un vélo et que c’est la meilleure manière de s’affûter, bien meilleure qu’un régime Weigth Watchers ! C’est donc parti, cap au sud à la découverte de l’Espagne et des espagnols !

Swiper pour voir la galerie – © photo Sébastien Arial

Direction Plasencia pour rejoindre la Ruta Via de la Plata. La route de l’argent est une ancienne chaussée romaine qui traversait du nord au sud l’ouest de l’Hispanie pour faciliter le commerce de l’or, également empruntée dans d’autres temps par Hannibal. Ce chemin chargé d’histoire est aujourd’hui utilisé comme itinéraire de pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle depuis Séville. 

Je quitte rapidement les terres de gravel proches de Madrid que je connais maintenant un peu, pour entrer dans le sud de la Castilla y León. C’est effectivement très vert et déjà bien collinéen. A cette saison, les blés ne sont pas encore fauchés et le vent les caressant leur donne de très jolies nuances de couleurs. J’arrive à la fin de ma première étape et il n’y aura pas de bivouac pour ce premier soir : à Lanzahita, Paloma venue à ma rencontre me propose de m’héberger. Très fatigué par cette première journée, j’insiste pour la remercier à partager une bière au café du village. Première erreur monumentale en Espagne pour quelqu’un qui souhaite se reposer ! Ici en terrasse, tout le monde se connaît et chaque personne alpaguée dans la rue appelle une nouvelle tournée de « cañas », petit verre de bière de soif… Elles s’enchaînent avec les amis du village, et j’ai du mal à quitter ce beau monde qui souhaite me faire partager une nuit de fête dans le village voisin ! En découvrant l’hospitalité de Paloma pour ce premier jour, je me dis que le voyage a bel et bien commencé…

Le lendemain, j’entre dans la verdoyante et très chaudement recommandée région de l’Estremadura. Je longe la Sierra de Gredos qui me semble de toute beauté depuis la route en contrebas, elle-même ponctuée d’arbres fruitiers et survolée de cigognes. Après deux jours composés majoritairement de route, j’arrive à Plasencia où j’entame la descente sur les pistes de l’itinéraire VTT de la Via de la Plata. Le chemin n’est pas très technique mais ça tabasse : je descends cette route à contre-sens et croise donc les premiers marcheurs qui eux se dirigent vers St-Jacques, au nord, et qui semblent tout aussi heureux que moi d’être là. C’est historique, on traverse de nombreux ponts de pierre bâtis par les romains. La route descendant vers le sud, les paysages sont de plus en plus ouverts, les villages deviennent de plus en plus blancs et je suis bien content d’être début mai, car le thermomètre grimpe vite dans cette partie de la péninsule. Je rencontrerai plus tard 44 degrés sous le soleil de Sevilla. C’est chaud. Il faut donc monter en altitude et éviter les plaines, je suis averti.

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La condition physique va de mieux en mieux, plus d’arrêt en pharmacie, le rythme bikepacking s’installe. Il me faut 4 jours pour me sentir bien : j’aime démarrer mes journées un peu avant le lever du soleil et les terminer après son coucher. Entre les deux, je roule et m’arrête assez peu pour contempler ou visiter.  C’est mon rythme, tout se passe sur le vélo à pédaler. 

Avant Merida et ses nombreux vestiges romains, sur une longue piste monotone entre vignes et champs, je fais la rencontre de Fred et Romain, partis depuis plusieurs semaines de France et qui remontent vers Gijón et les Asturies. L’échange est court mais le partage entre bikepackers est bien là, et cette rencontre me fait très plaisir dans un voyage qui sera majoritairement solitaire. Plusieurs bivouacs déjà, je me laisse tenter par une douche chaude. Erreur d’embourgeoisement, la lune, les étoiles et la magie de la nuit me manquent ! Ça me fait réaliser que ce que j’aime, c’est passer la nuit dehors. La nuit à la belle étoile, c’est accepter d’être observé, épié, désiré. J’ai ce sentiment de vulnérabilité qui fait de moi un être parmi les autres dans un tout, une appartenance au monde du vivant et in fine, une reconnexion.

J’entre en Andalousie et l’arrivée à Séville annonce la fin de la Via de la Plata. Les 20 km de descente vers la capitale andalouse sont un régal de VTT et de panorama. Je souhaite ensuite rejoindre Cadiz et l’océan. Avant de partir, j’avais repéré une zone « vide » sur la carte et j’avais donc tracé mon parcours au milieu du rien. Je me retrouve à longer le Guadalquivir, fleuve qui se jette dans l’océan Atlantique en passant par Séville – autrefois appelé le Betis par les Romains du nom de la province Bétique, aujourd’hui l’Andalousie. Ce fleuve prend sa source dans la Sierra de Cazorla, que je retrouverai plus tard, et c’est le seul fleuve navigable d’Espagne, petit détail important que je n’avais pas pris le temps de lire et qui aura sa petite importance pendant la nuit : la journée s’était passée au milieu du « rien », c’est-à-dire sur des longues pistes entre les exploitations céréalières dignes du Midwest américain. Le soir, je bivouaque au bord du fleuve ; le coucher du soleil est magnifique, les cigognes s’interrogent depuis leur perchoir sur la présence de ce voisin inhabituel. Au milieu de la nuit, un affreux cauchemar me réveille, une sirène, de plus en plus forte, j’ouvre les yeux et c’est une gigantesque plateforme bruyante et lumineuse qui me domine. Il s’agissait en fait d’un tanker qui remontait le fleuve et passait donc tout prêt de moi ! Le réveil est brutal, et surtout le passage du navire provoque une vague d’eau boueuse que j’entends tout d’abord, avant de la voir très rapidement et dangereusement arriver vers mon nid douillet ! Ca va vite mais chaque seconde paraît bien longue ! Heureusement, mon installation involontairement posée sur un petit promontoire m’évite d’être emporté et de finir, avec mon vélo, dans le fleuve. Les cigognes peuvent rigoler, je m’écarte penaud pour finir ma nuit.

Le lendemain marque l’arrivée sur l’embouchure du fleuve et les magnifiques plages de San Lucar. Je rejoins Cadiz pour une journée de pause où je vais profiter d’une des plus anciennes villes d’Europe, construites par les Phéniciens il y a plus de 3 000 ans, de ses plages et de sa gastronomie.

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Mon objectif marocain s’est évanoui puisqu’il me manque un pass vaccinal à jour et surtout un passeport laissé à Madrid. En voyage, si c’est l’objectif qui me fait rêver et avancer, c’est bien la route dont je profite au jour le jour. Je verrai donc Tanger une autre fois, je repars donc de Cadiz sur l’Altravesur. Cet itinéraire bikepacking créé par Logan Watts emprunte majoritairement l’itinéraire du GR7. Je sais donc qu’il y aura beaucoup de pistes, du single et beaucoup de dénivelé avec la traversée de plusieurs parcs naturels et sierras.

La première journée suit une bonne partie du bord de l’océan avant la jonction avec la Méditerranée. On a souvent les pieds dans le sable, il faut pousser mais les plages sont sublimes et rouler en bord de mer est pour moi inhabituel, j’y prends plaisir. Je passe une excellente journée entre sable, villages blancs côtiers, ruines romaines et surfers. Je quitte le site romain de Bolonia et ses vaches qui habitent la plage pour entrer plein nord dans les terres, traverser le Parc Naturel de los Alcornocales et la Sierra de Grazalema, jusqu’à Ronda. L’arrière-pays est verdoyant et pastoral. Traverser l’Andalousie, c’est traverser des terres d’élevage de moutons, de vaches, de chèvres et donc passer des barrières, beaucoup de barrières. Si les paysages de moyennes montagnes sont magnifiques, la piste parfois s’arrête parfois pour laisser place à du poussage et du portage, notamment entre Jimena de la Frontera et Ubrique. Gros dénivelés, pas de sentiers visibles, blocs de pierres, ronces, je crève mon pneu en poussant le vélo, c’est une première. La chaussée romaine après Ubrique est également un long poussage mais j’apprécie le bivouac sur ce lieu historique et je m’endors la tête dans une autre époque. 

A Ronda, je sors de l’Altravesur et je descends à Malaga pour une pause de trois jours : repos, soin des petits bobos, nettoyage, recharge des batteries (électroniques mais aussi musculaires), plage et visite de la ville. Pour reprendre la trace, il faut remonter dans la Sierra ; pour ça, je décide de faire une petite heure de train tranquille pour rejoindre Antequera. C’est bon le train quand on est confortablement installé à voir défiler les paysages qu’on n’aura pas à grimper. Mais le véritable voyage a de ça de bon, c’est qu’il est fait d’inattendus. Le train s’avérera ne pas être tranquille du tout. Le soir même se joue à Séville la finale de la League Europa de football. Cent mille écossais et cinquante mille allemands sont attendus dans la capitale andalouse. Et les écossais sont arrivés en avion à …. Malaga ! Je me retrouve avec mon vélo au milieu d’Ecossais ivres, plein d’entrain à boire davantage et à chanter. La police est en intervention continue, confisque l’alcool, éjecte les supporters les plus turbulents, même si à chaque arrêt, ce sont des dizaines d’autres qui montent dans le train. Je rigole moins quand, arrivé à Antequera, la porte du train ne s’ouvre pas. Je finis donc avec mes nouveaux amis écossais à Séville ! J’arriverai finalement à ma destination beaucoup plus tard que prévu dans une journée pour le moins inattendue !

Les pistes du jour suivant pour rejoindre la Sierra Nevada sont agréablement vallonnées. On retrouve en Espagne un grand réseau de pistes car contrairement à la France, les espagnols n’ont pas asphalté tous les chemins agricoles et chemins de fermes. Depuis une nouvelle crevaison dans un poussage, je passe malheureusement mon temps à gonfler mon pneu avant qui ne tient pas malgré les changements de chambres à air. Un nouvel arrêt s’impose, heureusement il y a un vélociste presque sur la route avant de très nombreux kilomètres. Le changement de pneu prendra la matinée. Comme partout ailleurs, la vie loin de la capitale se fait à un autre rythme. « La tienda se abre cuando llegua » me disent les voisins devant la boutique fermée. (Ca ouvrira quand il arrivera !). D’abord farouche et peu volontaire, le vélociste finit par accepter de changer mon pneu pour un montage tubeless. Il finira par m’avouer tendrement qu’un de ses plus beaux souvenirs était un voyage à vélo réalisé avec un ami. C’est le regard plein d’envie et d’admiration qu’il me laisse repartir avec un pneu tout neuf, un bel échange et un petit cadeau en prime, encore un grand merci !

© photo Sébastien Arial

Commence ce qui pour moi s’annonçait comme le cœur du parcours : les sierras. La route devient plus sauvage, la civilisation se fait plus rare et je porte maintenant quelques réserves de graines, une boîte de sardines et surtout quatre litres d’eau sur le vélo. Il fait chaud et l’eau est pour moi une sécurité, même si j’aurai rencontré régulièrement des sources non asséchées en ce mois de mai.

J’arrive sur la partie la plus difficile de la route : la Sierra Nevada, la « sierra enneigée » du Sud espagnol. La route prend de l’altitude et les plus gros dénivelés sont ici. L’Altravesur traverse sa partie sud d’ouest en est. Les pistes s’avèrent assez longues. C’est sec et poussiéreux, l’exploitation forestière est le paysage dominant ; le dénivelé se fait principalement pour passer d’une combe à l’autre. Le Calima, ce vent du Sahara appelé en France le Sirocco, souffle, casse la pureté du ciel et me prive donc des quelques vues plongeantes sur la Méditerranée. De beaux petits villages traversés, notamment Trevelez, qui vit littéralement au parfum du jambon ! Traverser un village andalou est toujours une petite expérience en soi. Toujours authentiques, ils peuvent être très calmes entre deux et cinq heures de l’après-midi mais très bruyants le soir… c’est une réalité, les andalous vibrent au rythme du flamenco !

Les sierras s’enchaînent ensuite. La Sierra de Baza est la plus petite mais pas la moins belle. La sortie nord se fait par un single aménagé typé bikepark… un peu de pilotage et de fun avant une pause déjeuner bien méritée ! Suite à une des rares portions de route du parcours, 25 km et un long poussage dans une oliveraie, j’arrive dans ce qui sera les plus beaux paysages montagnards de ce tracé : la Sierra de Cazorla. Elle est grande, elle est sauvage et surtout, elle se mérite ! Le tracé emprunte de très belles pistes, traverse des paysages de plateaux vercoriens aux vallées encaissées, traverse quelques habitations isolées et on côtoie une faune abondante : lapins, serpents, aigles, biches, cerfs, chamois, et bien d’autres. De très beaux moments de vélo et de beaux bivouacs, notamment une nuit où mon voisin le cerf s’est fait les bois (et a bien raccourci ma nuit !).

Après un dernier portage dantesque, les sierras et l’altitude sont derrière moi, la fin de ce voyage approche. Il se terminera à la gare d’Albacete dans la Castilla y Mancha. En Espagne, seuls les trains de Media Distancia acceptent les vélos non empaquetés. Si l’Altravesur est tracée jusqu’à Valencia, c’est à Albacete qu’existe ma seule possibilité de rentrer directement à Madrid par le train. 

La sortie de la Sierra se fait par un village vide lors de mon passage nommé Alcazar. Après un gros portage le matin, je ne veux plus suivre de GR pour éviter de nouveaux portages piégeux. Après une dizaine de jours à passer 90% du temps à grimper du fort pourcentage, je rêve de plat pour avaler du kilomètre, malheureusement c’est du relief et un sentier qui sont au programme sur mon GPS. Malgré cela, je décide une nouvelle fois de suivre la trace… quelle bonne décision ! Le GR s’avère être une ancienne voie ferrée, aménagée au début du siècle, mais jamais utilisée. Tout est là, la voie est faite, les tunnels sont creusés, les stations sont construites mais les rails n’auront jamais été posés. C’est aujourd’hui une via verde, la Ruta de Don Quijote. Les trains ne pouvant pas monter plus de 2%, c’est tout plat ou presque. Une joie débridée m’envahit, je mets les mains en bas du guidon, de l’aérodynamie dans la position et les jambes s’emballent. Je relève la tête et j’ai avalé les 60 kilomètres pour rejoindre Albacete en deux heures après cette grosse journée de montagne. 170 km pour ce dernier jour, le voyage s’achèvera le soir même par un dernier bivouac en dehors de la ville et une petite section de nuit le lendemain matin pour attraper le train de 6h pour Madrid.

Swiper pour voir la galerie – © photo Sébastien Arial

L’Andalousie est une région magnifique qui est particulièrement adaptée pour la découverte à vélo. Les paysages sont riches et variés. J’ai beaucoup apprécié la simplicité et la gentillesse des gens. Les andalous sont particulièrement accueillants et je me suis toujours senti en sécurité. On traverse un grand nombre de petits villages authentiques, où on peut facilement se restaurer et se recharger. Les horaires décalés espagnoles font qu’entre les tiendas et les bars, on peut s’alimenter à toute heure ou presque, tapas et raciones à base de poisson, poulet, œufs, féculents, pommes de terre, pain, bien adaptés à la diététique du vélo. 

L’Altravesur traverse majoritairement l’intérieur des terres par les sierras. Le tracé sur le vélo n’a rien de technique même s’il comporte beaucoup de dénivelé. J’ai pris moins de plaisir dans les parties à côté du vélo, fréquentes sur l’Altravesur, souvent longues (d’1h à 2h) et difficiles. Le temps passé à pousser sur ce tracé m’a amené à beaucoup réfléchir sur ce qu’est le bikepacking et comment je l’apprécie, son rapport à l’aventure, à la difficulté. Si j’accepte de pousser un vélo 10 à 30 minutes de temps en temps, je préfère définitivement être sur le vélo. Sur l’Altravesur, j’éviterais 4 portions difficiles avec des portages majeurs : 

-Sierra de Grazalema : entre Jimena de la Frontera et Ubrique. Ensuite les 3km de chaussée romaine après Ubrique sont aussi à faire à pied, cependant c’est joli, historique et le poussage est doux ;

-Sierra Nevada : pendant 10 km avant Ferreira, grande descente sur GR dans les ronces (au moins au printemps) ;

-Sierra de Baza : derniers km avant Charches : il faut suivre un ruisseau puis traverser un champ d’oliviers. On détruit les clôtures du paysan qui fait tout pour empêcher les vélos de passer ;

-Sierra de Cazorla : le passage après La Toba : 1h30 de poussage difficile puis un mur : 20 min de très gros portage.

Total : 15 jours de vélo, 3 de pause, 2 000 km de gravel sur environ 80 % de pistes, 10 % de single et 10 % de route, 25 000 m de D+, une dizaine de bivouacs pour un budget quotidien moyen entre 15 et 20 euros… et surtout de belles rencontres sauvages et beaucoup de sourires !

Écrit et photos :
Sébastien Arial

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