Ma rencontre avec la French

J’ai essayé de retranscrire cette aventure jour après jour, de me rappeler de chaque détail, de chaque rencontre, de chaque paysage…kilomètre après kilomètre à pédaler en suivant mon GPS les yeux fermés, à tourner les jambes, serrer les dents, casser du caillou, beaucoup de cailloux. 

Au matin du 07 août, jour de grand départ de la French Divide, je n’avais pas d’objectif à part celui de rouler aussi loin et aussi longtemps que possible. J’ai roulé seule, en duo, en groupe. J’ai dormi dans un hamac mais le plus souvent par terre et quelquefois chez l’habitant. Je m’étonne encore de la gentillesse des gens. Des ravitos organisés par les fans de la course. Toujours aussi chaleureux. Ils nous redonnaient le souffle et nous remplissaient l’estomac de madeleines, de saucisson, de chocolat et j’en passe. J’aimerais me souvenir de tous, de leurs prénoms, de leurs portes ouvertes, de leurs douches après 3 jours de toilette de chat. Merci, merci, merci. Merci à ce couple qui nous a accueilli avec Fanny alors qu’il était déjà 22h00. Notre odeur devait en dire long sur notre aventure et vous nous avez ouvert votre porte le temps d’un thé, d’un cookie maison et d’une courte nuit. Merci aux copains de Julien pour cette nuit en roulotte après une journée interminable, la chaleur, la fatigue et puis l’orage. Merci à ce pompier qui nous a accueillis, lavé notre linge, préparé le petit déjeuner à 5h00 du matin alors que nous étions six puants, épuisés, rincés, affamés. Merci. 

Swiper pour voir la galerie – © photo Lucie Denis

Si la longue distance est une histoire de solitude elle a été pour moi l’occasion de belles rencontres. Kiki, Seb, Jean-Seb, Mario, Flo, tous ont consolidé mon amour du vélo, de l’endurance et de la communauté. Naturellement nous avons roulé ensemble jour après jour. Partagé des bains en lavoir, les courses pieds nus dans les Lidl pour nous rafraîchir les orteils. Les repas à même l’entrée des Hyper comme sur toutes ces photos de cyclistes que tu peux apercevoir dans les courses de longues distances. Les snikers glacés, les réparations express sur un trottoir, les micros siestes. Notre petite communauté avait son rythme. 

© photo Lucie Denis

Plus les jours passaient, moins nous croisions de monde. L’écart s’agrandissait. Nous avions peut-être mal aux genoux, au cul, aux pieds, nous étions fatigués oui certainement, mais personne ne disait rien. Le groupe nous faisait avancer, il nous donnait de l’élan, autant qu’il fallait. Il y avait les grimpeurs et les descendeurs. Les VTT et les gravels. Les casse-cou et les prudents. Un certain équilibre était en place. On oubliait tout le reste tant que le train était en marche. Parfois il fallait pousser ou même porter lors de passages sinueux. Surtout une section dans le Morvan qui ressemblait plus à une trace de GR que de vélo. Cette partie était une des plus sauvages du parcours. J’aurais aimé m’arrêter, capturer cette image de forêt dans la brume, du lac endormi, des pins renversants, mais nous n’avions pas le temps. Pas le temps pour les photos souvenirs. Mais le temps pour un petit déjeuner miraculeux au milieu de nulle part. Au coeur de la forêt, une auberge de voyageurs. Il devait être 9h00. Le petit déjeuner était juste prêt. La petite troupe s’installa, remplit les plateaux, tartina les bouts de pain, remplit l’estomac et les poches pour la suite. Pain, beurre, fromage, viennoiseries et même des oeufs. Une OASIS. Puis la journée s’enchaîna. Elle sera rude. Le terrain est cabossé. Mais aussi la chaleur qui commence à assécher nos bidons. On s’arrête dans les cimetières pour profiter des fontaines. Parfois ce sont les fermes qui nous sauvent. Chaque hameau est l’occasion d’une courte pause avant de reprendre les chemins taillés par les tracteurs. Mais cela ne nous empêche pas d’arriver grand sourire au CP2 accueilli par la team média. D’autres cyclistes s’arrêtent, mangent une pizza, et passent la nuit dans les environs. Le Morvan est presque derrière nous. 

Swiper pour voir la galerie – © photo Lucie Denis

Après une nuit sous un abri je me réveille en vrac. Dans le silence tout le monde range son matériel. Méticuleusement. Les gestes sont plus lents, moins souples que lors des premiers matins. Avant de repartir nous nous retrouvons sur un banc. Les frontales allumées pour éclairer nos recherches. Mais où est ce dernier biscuit ou encore cette brioche achetée la veille qui ressemble désormais plutôt à un pancake. Quel délice de la retrouver et de la déguster avant de clipser les chaussures. Chaque geste devient un automatisme. Les journées deviennent floues et je perds la notion du temps. Même aujourd’hui je peine à retrouver les détails de ces derniers jours. Car ce seront bien les derniers jours de la course. J’y pense dans un coin de ma tête mais rien de sérieux, rien de définitif jusqu’à cette fin de journée où les kilomètres deviennent des heures de galère. J’ai perdu le plaisir, comme une envie de marquer un arrêt. De profiter. De lever la tête du guidon. Je prends la décision seule dans la nuit. Après cet accueil merveilleux ou nous dormons tous les six chez un samaritain. Très tôt nous prenons le petit déjeuner. Je cherche le courage au fond de la tasse. Je loupe chaque occasion. Tout le monde se prépare. On monte sur les vélos et on commence à rouler. Comment faire. J’ai peur, peur de leur dire, peur de les quitter. Au premier panneau stop je leur dis de s’arrêter : j’ai le coeur tout serré. « J’arrête ». Il fait nuit mais leurs regards fatigués restent ébahis. Ils m’encouragent. Me disent de continuer. Ça me pince. Ils essayent encore, mais non je suis décidé je ne veux plus. Ils repartent. Déçus. Nos chemins se séparent et je suis en larme. Je redescends jusqu’à Clermont-Ferrand. 

1200 kilomètres parcourus et presque 15 000 de D+ en une semaine. Ce n’est pas si mal. Mais une seule chose me fait regarder en arrière. Kiki, Seb, Flo, Jean-Seb, Mario. Merci d’avoir partagé ce bout de route avec moi.

© photo Lucie Denis

Récit écrit par Lucie Denis

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Christelle Etchepare Labat
Christelle Etchepare Labat
2 years ago

Merci Lulu pour tous ces souvenirs si bien partagés. C’est avec une grande émotion que je viens de lire tes lignes et de regarder tes photos. Beauté des paysages, dépassement de soi, partage, et décisions à prendre!
Pas facile, mais si riche.
Au plaisir…sur les chemins.
Kiki